Extrait de l’article L’art dans l’écart de Jean-Louis Perrier dans la revue Mouvement, novembre/décembre 2012
Elle entre à jardin d’un pas déterminé, à peine plus soutenu qu’au naturel, glisse de la lumière du dehors à celle de la scène dans une tenue de tous les jours, un simple détour, restez assis je vous prie, je passais par là, vous aussi probablement. Rien ne paraît la presser vraiment, un simple rendez-vous à honorer.
Chacun de ses mouvements semble double, qui tracerait un geste dans l’air et le laisserait s’effacerMmeellooddyy Nneellssoonn. Retenez bien cela et l’oubliez un peu, je le veux. Un instant, elle se cambre, de profil, bras levés tendus en arrière, un étirement gymnique, et voilà pour « La Vénus d’argent du radiateur » chantée par Gainsbourg. Entre les ailes du Spirit of Ecstasy de la Silver Ghost, Fanny de Chaillé a glissé sa carte de visite, une trace, un graphe, un corpogramme, qui ouvre un espace inédit au spectacle, au spectateur, un chemin sinueux qui entre et sort à volonté dans Histoire de Melody Nelson de Gainsbourg.
Fanny de Chaillé pratique la scène en civil. Elle semble y être telle qu’en elle-même, tirer la pièce vers ce qu’elle veut bien laisser paraître d’elle, sans couverture ni ornements superflus. Même manière de se tenir le menton, de croiser les jambes et de plisser les yeux. Elle fait « Je » sans forcément le dire, parcourt le territoire de l’adaptation du bout du pied, ne s’impose ni ne s’installe durablement. D’ailleurs elle n’interprète pas Melody Nelson. Elle l’a en tête. Elle écoute ce qui s’est incrusté du conte, de ses mélodies, et nous fait passer celles qui l’ont marquée, par souffles successifs. Chaque mouvement devance l’épisode à venir, le saisit au vol, à l’endroit précis où il fait boucle. Elle pose délicatement le diamant sur un microsillon – imaginons les années vinyle –, et s’en vient arpenter sa plage favorite, d’un pas large et souple qui laisse ses empreintes en grandes scènes dessinées. Des esquisses, allusives, plutôt que des traits appuyés.
Surtout pas de trace d’effort. Pas plus que de négligé. L’horreur de la prouesse, de la déclamation, du beau geste et du beau jeu l’emporte. Gare à l’attrait d’un plein de culture et de sens. Foin du grand art, de son poids, de la tentation de marquer, de la marque. Son pas dansant offre un pendant physique aux énonciations à la tg STAN, celle de dire sans avoir l’air d’avoir appris quoi que ce soit, qui passe en bouche dans un étonnement vrai ou feint, où est la question ? Avec son partenaire, Grégoire Monsaingeon, elle joue de l’évitement sinon du frôlement. Des semis de mouvements, qui prennent volontiers à revers, comme inadvertants, alors qu’ils sont avertis, concertés, assez imprévus pour appuyer sur le présent et l’exalter. (…)